Domestication, diversité et évolution à la lumière de 1,011 génomes de levure

L’élucidation de l’origine de l’impressionnante diversité des caractères ou phénotypes dans une population naturelle est un enjeu majeur en biologie. Une étape essentielle dans ce processus est d’explorer la diversité génétique entre individus appartenant à une même espèce. Dans ce contexte, une étude à large échelle a été conduite par les équipes de Joseph Schacherer (Université de Strasbourg / CNRS), Gianni Liti (Université Côte d’Azur, CNRS, INSERM, IRCAN) et le Genoscope (CEA, CNRS, Université d’Evry Val d’Esonne) dans le cadre dans d’un projet sélectionné par le programme France Génomique avec pour objectif de générer une carte génétique très détaillée chez la levure modèle Saccharomyces cerevisiae (http://1002genomes.u-strasbg.fr/). Le séquençage complet de 1,011 isolats naturels ainsi que leur caractérisation phénotypique a permis d’avoir l’une des meilleures compréhensions de la diversité génétique et phénotypes chez un organisme modèle eucaryote. Cette étude a été publiée dans la revue Nature.
https://www.nature.com/articles/s41586-018-0030-5

Les isolats séquencés ont été collectés sur l’ensemble du globe afin d’échantillonner au maximum la diversité tant sur le plan de la localisation incluant l’ensemble des continents que de l’écologie avec certains isolats liés aux activités humaines comme l’élaboration de produits laitiers, de vin, de saké, de bière et d’autres liés à des niches sauvages comme les insectes, les arbres ou les fleurs. L’ensemble de ces isolats ont également été phénotypés et plus particulièrement leur capacité de croissance dans différentes conditions conduisant à des réponses physiologiques et cellulaires variées a permis d’avoir une vue globale du paysage phénotypique de l’espèce.

L’ensemble des données générées ont mis en évidence des points clés de l’histoire évolutive, de l’évolution des génomes et de leur impact sur la relation génotype-phénotype. Dans un premier temps, l’exploration fine du patron des variants génétiques a conduit à la dissection de l’histoire de cette espèce. Cette étude apporte de nouvelles preuves quant à son origine d’Asie de l’Est et suggère une dispersion commune et unique à partir de la Chine. Sous la main de l’homme, S. cerevisiae a connu des évolutions génomiques et phénotypiques au cours de différents événements de domestication, notamment dans le cadre des processus de fermentation du vin, de la bière et du saké. Ces diverses événements de domestication ont eu un impact différent sur l’évolution des génomes. Alors que les isolats de vin et saké sont caractérisés par une faible diversité génétique, les isolats de bière présente une diversité importante et une variabilité génomique beaucoup plus complexe. Mais plus globalement, les environnements anthropiques favorisent l’expansion et la perte des gènes conduisant à une variation du contenu des génomes plus importante. Par contre, les isolats sauvages partagent un génome au contenu très similaire et la diversité génétique est majoritairement générée par l’accumulation de mutations.
De plus, l’étude a conduit à une vue d’ensemble de l’importance respective des variations génomiques, comme la ploïdie, les aneuploïdies, et les introgressions, qui façonnent l’évolution des génomes et par conséquent le paysage phénotypique d’une espèce. Par exemple, il a été possible de définir le génome de base, aussi appelé ‘core-genome’, (4940 gènes présents dans tous les isolats) ainsi que le génome accessoire (2908 gènes présents uniquement dans une fraction de la population). Le contenu en gène est variable entre isolats avec un jeu de gènes accessoires qui sont sujet à la ségrégation, à des événements d’introgressions ou de transferts horizontaux. Ces derniers sont par exemple principalement détectés dans des isolats présents dans des environnements fermentaires. De plus, le niveau de ploïdie et d’aneuploïdie est également très variable entre les différentes sous-populations et dépend de leur origine écologique.
Finalement, cette étude permet d’avoir un nouvel éclairage sur la relation génotype-phénotype dans une population naturelle. L’espèce étudiée présente un niveau de divergence génétique très important, bien supérieur à celui trouvé chez l’Homme. Parmi, les 1011 génomes, la majorité des variants génétiques mis en évidence sont à faible fréquence dans la population. Une tendance similaire à celle observée chez l’Homme, ce qui conduit à la question de savoir quelle est l’importance des mutations rares sur la variation phénotypique observée dans toute espèce. De plus, les études d’association pangénomique ménées avec les données générées soulignent l’importance de la variation des copies de gènes sur la diversité phénotypique. En effet, ces variants expliquent une plus grande partie de la variance phénotype et semblent avoir un effet plus important que les mutations ponctuelles. Dernière l’ensemble de ces analyses, ces données posent les fondations pour l’émergence de nouvelles études de génétique et génomique en utilisant cet organisme modèle clé en biologie.


Figure – © Eric Rottinger
Colonies des isolats de S. cerevisiae qui ont été séquencés et décrits dans le manuscrit en croissance sur milieu solide. La photo a été recouvert d’une carte du monde, les 1011 isolats ayant été collectés à travers le monde et un des résultats présentés dans cette étude correspond à la mise en évidence de l’origine Asiatique de S. cerevisiae.

Contact chercheur

Joseph Schacherer – schacherer@unistra.fr
Université de Strasbourg / CNRS, UMR 7156
28, rue Goethe
67000 Strasbourg
France
Tel : +33 (0)3 68 85 19 61

Gianni Liti – gianni.liti@unice.fr
Université Côte d’Azur, CNRS, INSERM, IRCAN
28 Avenue de Valombrose
06107 NICE Cedex 2
France
Tel: +33 (0)4 93 37 76 72